S.T.A.L.K.E.R 2: Heart of Chornobyl
S.T.A.L.K.E.R 2: Heart of Chornobyl était probablement un des jeux les plus attendus de cette année. Repoussé à plusieurs reprises, pour des raisons géopolitiques malheureuses, il est finalement sorti ce mercredi 20 novembre 2024, sur PC et sur Xbox.
2 jours plus tard, 1 million d’exemplaires sont déjà vendus, 77% d’évaluations positives parmi 25 000 avis collectés sur Steam et de nombreuses sessions via le Gamepass. C’est un sacré résultat !
Parmi l’équipe Press F5, nous sommes plusieurs à y avoir jouer, quelques heures, voire dizaines d’heures déjà. Après en avoir discuter longuement, nous avons trouvé intéressant d’écrire ce petit article, mélangeant avis, ressenti et perception de l’industrie.
L’avantage d’être dans un collectif, c’est que l’on peut tester sur différents environnements. Steam ou Gamepass, avec une carte graphique récente ou non, une configuration générale asthmatique ou performante, nous avons de tout.
Adressons tout d’abord l’éléphant dans la salle : S.T.A.L.K.E.R 2: Heart of Chornobyl est optimisé avec le cul. Ce qui ne nous a pas empêché d’y jouer encore et encore. Et c’est ce qui m’a principalement intrigué.
Certes, tout comme CekterDown, j’avais adoré les premiers jeux, Shadow of Chornobyl, Clear Sky et Call of Pripyat, mais est-ce que le pouvoir d’une licence suffit à mitiger tout sens critique ?
Conditions de développement
S.T.A.L.K.E.R 2: Heart of Chornobyl est développé par le studio Ukrainien GSC Game World. Si vous ne vivez pas dans une grotte, vous êtes au courant de la guerre russo-ukrainienne et de l’invasion de l’Ukraine par la Russie depuis 2022. Un contexte de tensions indescriptibles et des conditions de vie et de travail qui le sont toutes autant.
Dans l’industrie du jeu vidéo, il existe plusieurs studios ukrainiens qui ont poursuivi leurs œuvres, parfois en restant à Kyïv, comme GSC Games World ou Frogwares (Sherlock Holmes: The Awakened).
Plusieurs articles ont déjà documentés ces conditions de travail, pour les studios, comme celui de Game Developer de Juin 2023.
Concernant S.T.A.L.K.E.R 2: Heart of Chornobyl, c’est The Guardian en Février 2024 qui a couvert le sujet. Le titre, dont le développement a débuté en 2010, s’est poursuivi malgré l’invasion russe. Le studio a été transformé en refuge pour les employé·es du studio. Certains membres du studio ont rejoint le front, certains au péril de leur vie.
Pour le studio, il s’agit plus d’un travail ou d’un jeu vidéo. C’est une œuvre nationale et un combat quotidien.
Solide sur ses appuis
Maintenant que le ton est bien posé - ça va vous ? - parlons désormais du jeu et de ses évidentes qualités.
L’ambiance est folle. Dès le prologue, on est plongés dans cet environnement glauque et radioactif, plein de dangers et de mutants hostiles. Tout met nos sens en alerte, on n’est pas bien.
Il faut dire que c’est techniquement un open-world. La carte est découpée en plusieurs régions et dans celles-ci, vous trouvez une tonne de points d’intérêt. Libre à vous d’aller les explorer, au risque de vous faire croquer par un cochon corse local.
Chaque route que vous empruntez peut être votre dernière si des bandits, à la recherche de provisions faciles à obtenir, vous tendent une embuscade. C’est avec une vigilance permanente que l’on arpente cette Zone désolée.
Et tout ça, c’est en journée, par temps clair. La nuit ou lors des tempêtes, vous avez même pas envie de foutre les pieds dehors. Avez-vous seulement le choix ? Bien sûr que non, alors on s’accroche à son slip, on fait le stock de bouffe et de munitions et en avant Guingamp comme disent les anciens.
Les mécaniques de survie sont plutôt agréables à mes yeux. Le besoin de satiété et de se reposer nous force à segmenter nos missions pour se ravitailler, ou refourguer le surplus de nos aventures. C’est inspiré du premier opus forcément, sans être un frein pénible à la boucle de gameplay.
On apprécie les options d’accessibilité permettant de maintenir ou basculer des touches pour toutes les actions concernées (s’accroupir, viser…), même si l’UI in-game est restée enfermée dans les années 2000.
On retrouve tout ce qui a fait le succès des premiers titres de la licence. L’angoisse des sorties, le marchandage entre Stalkers, l’entretien et la personnalisation des armes, la satisfaction dans la progression et l’immersion globale dans cet univers sont autant de qualités que l’on apprécie de retrouver dans S.T.A.L.K.E.R 2: Heart of Chornobyl.
Cela dit, le jeu n’est pas exempt de défauts, loin de là. Il est même parfois trop vert sur certains aspects et c’est ce qu’on va regarder.
Avec quelques ratés
Il est difficile de faire une suite. D’une part, il y a tout un héritage à respecter, un ensemble de mécaniques qui a plu à toute une fan-base, empreinte de nostalgie et d’autre part, des années d’évolutions techniques à utiliser. L’industrie du jeu vidéo est complexe, comme on peut le constater ces dernières années avec les nombreux licenciements. Elle l’est d’autant plus dans le contexte ukrainien actuelle.
On estime toutefois qu’excuser les défauts et mettre de côté son esprit critique ne serait pas faire honneur à la série et au studio. Il est possible d’être critique et respectueux d’un produit. On peut même apprécier un jeu objectivement cassé. Une opinion n’est jamais binaire. Si c’était le cas, tout serait bien plus simple et bien plus chiant.
Lorsque j’ai commencé S.T.A.L.K.E.R 2: Heart of Chornobyl, j’ai immédiatement repris mes marques dans un univers difficile, qui réclame énormément de prudence et d’attention. Ce qui signifie qu’une partie de mon expérience est déjà biaisée par la connaissance de l’univers, et j’ai pu ainsi éviter quelques obstacles que le jeu pose.
Ce qui m’amène à mon premier point. Le jeu est DUR. Pas dur comme un Dark Souls, non. Dur comme un jeu des années 2000, avec la frustration qui va avec. L’équilibrage de l’œuvre est globalement foiré. Les ennemis sont des sacs à PV, les mutants, encore plus. J’ai vidé des chargeurs entiers sur des bestioles sans les abattre. Je suis mort dans des embuscades par manque de munitions ou de soins tellement le combat a duré, sans que mes adversaires ne tombent à court eux. L’expérience est raide pour un habitué, je me demande comment elle a été vécue par quelqu’un qui découvre.
Le moteur A-Life, qui fonctionnait très bien dans les précédents jeux et qui est la marque de fabrique des S.T.A.L.K.E.R, est vraiment cassé. Des ennemis apparaissent sur la carte, dans des zones prédéfinies, par groupes de 3 ou 4 et sans raison particulière autre que de vous mettre des bâtons dans les roues. Parfois, ces groupes apparaissent dans des zones avant des missions, ce qui créé des situations absurdes où vous ne pouvez pas éviter un combat et donc vous perdez de précieuses ressources.
Mais dis donc Jamy, c'est quoi le moteur A-Life ?
Eh bien Fred c'est très simple. Il s'agit simplement la manière dont les PNJ de S.T.A.L.K.E.R interagissent avec l'univers, que ce soit entre eux, avec vous ou avec la faune locale. Ce ne sont pas de simples personnages sur votre route, ils ont leur logique propre, leur instinct de survie, leur appartenance ou non à une faction. Ils ont des ressources à disposition et vont les ravitailler, en faisant tourner l'économie de la Zone.
C'est une intelligence artificielle très finement ajustée, qui tâche de vous compliquer au maximum la vie lors des confrontations. En vous contournant, en vous bloquant, en vous piégeant. Comme si ces PNJs attachaient plus d'importance à leur propre vie qu'à votre trépas.
C'est la forme de vie qu'il y a dans la Zone, surprenante de réalisme et de décisions logiques, et c'est ce qui a fait le succès de la franchise !
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ces jeux demandent une gestion de vos ressources. On est pas dans un Far Cry ou un Tomb Raider où chaque ennemi vous redonne une quantité absurde de munitions pour poursuivre votre route. Dans un S.T.A.L.K.E.R, vous trouverez un peu de munitions et peut-être un quignon de pain sur vos adversaires. Ce qui veut dire que chaque confrontation vous affaibli. Il est donc très important de pouvoir choisir entre le combat ou la fuite. Le fait d’avoir des groupes qui apparaissent devant vous est contradictoire avec cette intention initiale.
À cela vient s’ajouter un manque cruel de lisibilité. Vous allez me dire que c’était pareil dans les premiers jeux, et je suis d’accord. À la différence que les premiers jeux vous offraient plus d’outils pour appréhender le monde. Il manque les jumelles par exemple. Un outil indispensable pour planifier une offensive ou même une simple avancée en territoire inconnu.
La carte est également découpée d’une manière à guider nos mouvements. On peut contourner des lieux dans une certaine mesure, mais l’impossibilité de grimper une colline nous force à emprunter des passages et des zones où ces fameux groupes apparaissent. Ce qui nuit à la cohérence globale et à la liberté appréciée des épisodes précédents.
On manque d’éléments pour appréhender la Zone. La possibilité d’avoir un sac de couchage et d’utiliser une cabane abandonnée comme abri, pour ne pas avoir à attendre que la nuit passe serait une mécanique basique. Il y a beaucoup d’éléments visuels dans la carte mais on ne peut interagir qu’avec trop peu d’entre eux. Je m’attendais à une expérience un peu plus débrouillarde dans la survie.
La recherche des artefacts est d’une imprécision rare, où l’on se prend forcément les pieds dans les anomalies pour récupérer une bouse revendue à pas cher.
L’économie est tout aussi pétée que dans le monde réel. Réparer ses armes coûte une fortune, sachant que vous êtes obligé de le faire via des techniciens et qu’il n’existe pas de moyens de le faire vous-même.
L’UX/UI est aussi trop datée à mon goût. Devoir équiper des grenades pour les utiliser, utiliser cette roue de l’enfer pour choisir une arme dans le feu de l’action, devoir faire des aller-retours entre marchands pour modifier une arme, faire Tab + A pour équiper son détecteur… Tant de choses qui entachent l’immersion et l’expérience de jeu.
Dans son ensemble, la proposition de S.T.A.L.K.E.R 2: Heart of Chornobyl est bancale. Tout comme l’étaient les premiers peut-être mais on perd ici le privilège de la nouveauté. Et puis, presque 20 ans se sont écoulés, les jeux ont drastiquement évolué, le temps de jeu moyen et la façon de consommer du jeu vidéo aussi. On en parlera un peu plus bas.
Il est temps de parler des performances…
Un problème flagrant d’optimisation
Bon. Cette section est particulière et je ne voulais pas l’adresser avec les défauts de conception du jeu, car d’une part, on sait que ces problèmes seront patchés sur la durée et d’autre part, on se souvient de la gueule de Shadow of Chornobyl en 2007 et c’était guère mieux.
Toutefois, comme évoqué plus haut, on a pu comparé nos expériences de jeu sur différentes configurations, et même sur des PCs haut de gamme, ça en chie par moments, pour aucune raison particulière.
Des chutes de FPS au retour d’inventaire, qui obligent à relancer le jeu pour retrouver sa fluidité. Relancer le jeu qui oblige une recompilation des shaders, qui est lente pour tout le monde, même sur des NVME. C’est techniquement la Zone dans vos PCs aussi !
On a constaté également du clipping et du tearing selon les associations de paramètres graphiques. Cela faisait longtemps que je n’avais pas eu besoin d’un guide pour configurer un jeu, merci Rock Paper Shotgun pour le coup !
Il semblerait que le DLSS ou le FSR soit une obligation pour avoir une expérience fluide. Sans être un réel défaut, c’est tout de même une préoccupation de devoir compter sur une assistance pour avoir une expérience correcte. C’est une technologie qui existe pour améliorer l’expérience, pas pour la rendre possible.
Vous avez aussi des bugs d’interface qui vous empêchent d’améliorer vos armes comme prévu. Pénible quand vous avez déjà vendu vos reins pour obtenir ladite amélioration.
GSC Game World a déjà annoncé un patch pour la semaine prochaine, pour certains des aspects évoqués. Classique dans l’industrie. Un jeu sort, il a un patch Day One, puis se voit mis à jour régulièrement.
Aucun doute qu’à la longue, tous ces soucis seront résolus, soit par des correctifs, soit par du hardware plus puissant qui comblera les manquements techniques. C’est globalement ce qu’il s’est passé pour les premiers jeux.
Toutefois, je m’interroge sur cette sortie hasardeuse, en me posant une simple question : si ce n’était pas S.T.A.L.K.E.R, est-ce que ça serait passé ?
Le pouvoir de la nostalgie
Peut-être que oui, peut-être que non. La sortie d’un jeu attendu, par un studio ukrainien, rend le méli-mélo difficile à analyser. On peut soutenir un jeu pour son potentiel, pour son studio, pour ce qu’il nous a fait vivre il y a des années. Il y a autant de raisons d’aimer un jeu qu’il y a d’expériences de jeu.
J’avais adoré mon expérience de S.T.A.L.K.E.R: Shadow of Chornobyl alors qu’elle était tout aussi raide et bancale.
L’état technique global du jeu m’empêche de vous le recommander, si vous découvrez la licence. Le jeu nécessite des améliorations techniques évidentes avant de pouvoir être apprécié à sa juste valeur.
Je regrette également de devoir perpétuer la logique du save-scum, qui consiste à sauvegarder toutes les 30 secondes, car vous n’avez pas assez de feedbacks visuels ou sonores pour vous indiquer un danger que vous ne pouvez voir.
Un exemple tout bête : je suis en mission où je dois retrouver un objet. Je tombe sur des cadavres de Stalkers, sans menace visible. Je fais preuve de précautions, avance doucement, récupère le bien en question. La musique s’emballe, quelque chose m’a repéré et je meurs en deux coups, sans comprendre quelle a été la menace. C’est la première fois que je suis confronté à un tel mutant et rien ne me l’indique, à part une mécanique obsolète de die & retry.
Cela permet toutefois de tirer une grande satisfaction dans des petits moments de vie du jeu. Profiter d’une confrontation entre deux groupes d’adversaires, fumer le dernier survivant et s’emparer du butin. Faire un deal avec une ordure, prendre sa récompense et l’abattre de sang froid sans témoins et conséquences. La Zone est impitoyable. Si vous l’êtes autant, le jeu l’accepte et vous récompense.
C’est tout le sel d’un S.T.A.L.K.E.R. Le jeu est autant dur avec vous que vous devez l’être avec lui. Si vous aimez cet univers, vous replongerez dedans avec grand plaisir, malgré les nombreux défauts cités ci-dessus.
Une feuille de route sera publiée courant Décembre, pour avoir une idée de ce qui nous attend dans la Zone dans les mois et années à venir.
Ce que ça dit sur l’état de l’industrie
Un petit point pour conclure cet article. Car il y a quelques points qui me turlupinent tout de même, dans la gestion d’une sortie aussi attendue.
Tout le monde s’accorde sur le fait que techniquement, le jeu est aux fraises. En tant que développeur, je peux vous assurer qu’on est parfaitement au courant quand on livre quelque chose d’inachevé.
Et pourtant, la seule communication en ce sens est celle de la sortie, lorsque le studio annonce que le jeu “peut présenter des imperfections” (”may still be rough edges”).
On est bien au-delà de l’imperfection pour moi.
Sur certains aspects, le jeu n’est même pas fini. Les communications sur les défauts du système A-Life, évoqué plus haut, n’ont eu lieu que dans des réponses aux avis négatifs exprimés. Alors que l’information était connue du studio, pourquoi ne pas le dire ?
Le contexte actuel justifie complètement le fait de repousser encore le titre. Voire même de passer par une phase d’Early Access. Vendre plein pot un produit qui ne sera considéré comme fini que dans quelques mois est un chouïa fort de café.
Mon interrogation est donc dans les raisons de cette sortie. Est-ce un choix du studio, de considérer que de toutes façons, le jeu ne sera pas parfait et qu’il faut bien le sortir à un moment ? Est-ce une contrainte contractuelle, car le jeu doit sortir également dans le Gamepass ?
Peu d’informations à ce sujet hélas, ce ne sont que deux suppositions que l’on a déjà pu constater dans l’industrie.
Nous sommes désormais habitué·es à voir des jeux qui sortent sans avoir été pleinement testés. La faute à des budgets toujours plus restreints dans le QA et des délais de développement trop courts par rapport aux ambitions.
L’industrie semble revenir à des projets moins gros, davantage focalisés sur un concept que sur un florilège de mécaniques fourre-tout. Ce qui est plutôt un bon signe selon moi. La gestion de projets technologique a toujours été complexe. Si vous ajoutez à cela des délais absurdes et des couches d’exigences irréalistes, vous avez des jeux qui sortent sans être finis, quand ils arrivent à sortir.
Malheureusement, il existe toujours des exceptions qui confirment le fonctionnement absurde, comme le succès de Cyberpunk 2077 et même si je suis content du succès rencontré par S.T.A.L.K.E.R 2: Heart of Chornobyl et pour son studio GSC Game World, je ne peux m’empêcher de me dire que cela confirme que sortir un produit abouti ne sert à rien. Tant que l’on s’appuie sur une licence appréciée, on pourra toujours réparer les torts.
LupusVII