Many Nights a Whisper

Il y a des jeux qui te promettent une expérience introspective et philosophique profonde, annoncée à grands renforts de cinématiques obscures, de mise en avant par un homme-sandwich goût Doritos ou d’actrice qui s’est fait toute seule grâce à ses qualités de fille du plus gros producteur de cinéma français.
Et puis il y a ceux qui n’ont plus rien à prouver et te balancent leur savoir-faire au visage sans cirque médiatique. Rarement un jeu aura condensé autant d’émotions en une heure de gameplay.
Chargé de l’ancestral rôle de lanceur de flamme, élevé pendant 10 ans pour allumer la vasque sacrée d’un tir unique à plusieurs centaines de mètres de distances, la responsabilité qui repose sur nos épaules est immense.
Car si notre tir fait mouche, tous les vœux qu’on aura accepté durant les semaines précédant la grande cérémonie seront exaucés, aussi invraisemblables, révolutionnaires, impossibles, égoïstes ou dangereux soient-ils.
Le jour, on s’entraîne dans le but de maîtriser notre fronde pour lancer des boules de feu dans des vasques, avec une absence de viseur qui demande de construire ses propres repères visuels dans l’alignement du personnage.
Le soir, on reçoit les vœux, qu’on peut accepter ou refuser. Si on décide qu’ils sont dignes d’être exaucés, on récolte les cheveux des demandeurs qu’ils ont laissé pousser pendant 10 dans ce but. Ils serviront à renforcer notre fronde et lui donner la puissance nécessaire pour atteindre la vasque sacrée.
La force de ce jeu, ce sont les questionnements qu’il suscite. Abolir le travail ? Vider les animaux de leur âme pour ne plus culpabiliser de les manger ? Changer la couleur du ciel ? Ou se venger d’un voisin mesquin ? Quels souhaits va-t-on accepter, quels vœux vaut-il mieux ignorer ?
Plus on en accepte, plus notre responsabilité augmente. Le lancer unique à venir pèse de plus en plus. Et lorsque le moment fatidique arrivera, le poids du potentiel échec viendra-t-il affecter notre mouvement, notre placement pourtant longuement répété ? Saura-t-on assurer techniquement un tir si difficile ?
Dans quel univers pété tant de pression repose sur un seul geste, un seul instant décisif ? Sur les épaules d’une seule gamine à qui on a arraché 10 ans de sa vie, son enfance et son adolescence, à qui on ne rendra sa liberté qu’après l’épreuve et qui devra vivre avec sa réussite ou son échec le reste de sa vie ?
La peur de l’échec déborde du personnage au joueur grâce à ses mécaniques punitives. Le jeu brise brièvement le 4ème mur pour nous signifier qu’on ne pourra pas recharger une sauvegarde et qu’il faudra assumer les conséquences de notre geste, l’étendue de notre talent, l’assiduité de notre entraînement.
Une fois encore, la Deconstructeam frappe fort et juste. Habitués des propositions radicales (de Gods Will be Watching à The Cosmic Wheel Sisterhood en passant par The Red Strings Club), le studio espagnol livre une nouvelle démonstration de créativité narrative indépendante, dans un écrin graphique et musical doux et évocateur. Pour à peine 3 euros, offrez-vous une expérience d’une heure qui m’a marqué par l’impact de son écriture.
Ruvon