Crown Gambit

Appelez-nous chauvins, mais quand un jeu français narratif tombe sur la table, on y accorde une attention particulière. Wild Wits Games est un studio Rennais, et nous avons eu le privilège de recevoir, avec Cekter, une clef pour Crown Gambit, leur dernier titre en date.
Crown Gambit est un jeu qui mélange tactique et narration, en nous plongeant dans un contexte mouvementé d’une capitale. À l’aide d’Aliza, Hael et Rollo, nous progressons dans l’intrigue et effectuons des choix importants pour influencer la course au trône.
Tactical-Lite
Parlons d’abord de l’aspect tactique. Crown Gambit utilise des mécaniques connues des tacticals mais avec une approche plus minimaliste. On ne contrôle que 3 personnages tout le long de l’aventure. On ne peut pas les perdre sinon c’est game-over. Ce qui fait qu’on les améliore, on les peaufine, on ajuste leur deck avec soin (encore que, on en parle plus bas). Rapidement, on prend le coup, les combinaisons de compétences s’alignent.
Chaque combat se déroule sur un plateau. On a 2 à 3 actions par personnage, et l’on peut choisir des compétences, dans l’ordre que l’on veut, sans restriction d’usage entre nos personnages. Ce qui laisse la place à une bonne réflexion pour optimiser chaque tour. Vient alors le tour des ennemis, qui fait pareil. Etc.
Pendant la première partie, on nous apprend petit à petit l’ensemble du possible et on est très vite lâché ensuite, sans ressentir le moment où le jeu nous enlève les petites roues. Chaque combat nous permet de restaurer ou d’améliorer nos personnages, donnant un petit côté RPG à Crown Gambit.
Puis vient le moment où la difficulté monte. Et nous oblige à utiliser les pouvoirs de nos reliques, la Grâce Ancestrale. Une mécanique originale qui vient perturber la progression. Voyez ça comme un vrai côté obscur. Vos paladin·es se laissent dépasser par le pouvoir, ce qui les rend plus puissant·es, mais aussi plus incontrôlables dans les phases de dialogue. C’est tentant, mais c’est dangereux.
Ces jauges redescendent ensuite selon certaines circonstances. Que vous découvrez petit à petit. Et qui viennent conditionner vos choix et potentiellement votre aventure entière.
Choix non-éclairés
Vient ensuite le second aspect de Crown Gambit, le plus important à mes yeux, la narration. Le jeu emprunte toute sa mécanique de narration au visual novel, avec des choix à faire. Là où c’est malin, c’est que vos personnages ont leur personnalité propre, et que leurs choix correspondent à celles-ci. Aliza est issue de la noblesse, Rollo est proche du peuple et Hael, un clerc, est plus innocent. Ce qui donne de très différentes décisions !
De plus, la jauge mentionnée plus haut influence ces décisions, car le pouvoir peut monter à la tête de vos paladin·es et le jeu choisit alors pour vous une décision cachée, aux extrémités des pensées d’un des protagonistes.
Le contexte de l’histoire est plutôt classique : le Roi de Meodred vient de mourir, alors que vous n’êtes que trois novices, choisi·es pour votre neutralité. Se lance alors une course effrénée pour le pouvoir, car toute la famille royale se déchire pour réclamer la légitimité du trône. Pendant ce temps-là, les eaux qui entourent la capitale montent, créant un sentiment d’urgence pour l’ensemble de sa population.
Crown Gambit est DENSE. Qu’on se le dise bien. Malgré son apparente légèreté, on nous présente de nombreux personnages, tous·tes impliqué·es dans l’aventure d’une manière ou d’une autre. C’est simple, il est impossible de savoir si tel ou telle personne n’est pas en train de nous enfler, sans compter que cela vous coupe des autres. À vous d’assembler les pièces du puzzle politique.
On peut considérer que cela crée une rejouabilité car vous pouvez relancer une run en décidant de changer votre allégeance, votre alignement, etc, etc. D’autant que les dialogues et issues sont vraiment différentes et apportent de nouveaux antagonistes ainsi que de nouveaux pans de l’histoire.
Ce n’est pas trop ma tasse de thé comme j’estime que ma première run est forcément la plus spontanée et la plus proche de “moi”. En faire d’autres serait plus de l’ordre du FOMO (Fear of Missing Out) que de la curiosité pour moi.
Difficulté relative & Couacs en vrac
Quelques défauts toutefois. Malgré son esthétique et son UX éprouvée, empruntée aux visual novel, il y a quelques moments où le jeu pourrait être plus lisible. Il m’est arrivé plusieurs fois de passer un dialogue un peu vite en cliquant une fois pour faire apparaitre le dialogue plus vite et ça m’a fait sauter le dialogue. De même, en combat, j’ai pu parfois lancer un encouragement alors que je voulais sélectionner un autre personnage. Ou lancer une compétence au lieu de la consulter. Petits détails ici et là, rien d’incorrigible dans des futurs patchs à mon sens.
Classique du genre, on retrouve une dissonance avec des combats “regen”. Entendez par là que ce ne sont pas des combats difficiles, contre des chiens, des rats, des marauds tous nuls, qui font si peu de dégâts que l’on se retrouve à passer les tours jusqu’à avoir les compétences pour réparer son armure ou se soigner. Rien de bien grave, on comprend que cela est fait pour récompenser les plus endurant·es d’entre nous.
Un autre point, qui n’est pas vraiment un problème, mais je trouve bien de le préciser : en mode normal, Crown Gambit ne vous pousse pas dans vos retranchements. Du coup, la jauge de Grâce Ancestrale dont je parlais n’est pas réellement dérangeante. J’ai fait toute ma run en étant en dessous, le choix forcé ne s’étant déclenché qu’une fois, parce que je ne savais pas encore comment ça marchait complètement.
Cela dit, ça a eu son effet puisque j’ai absolument fait en sorte ensuite de ne pas avoir à revivre ça. Peut-être que contrairement à ce que je disais plus haut, je pourrais refaire une run “côté obscur” et voir ce qu’il se passe.
Dernier élément, on ne peut pas spécialiser nos personnages. Malgré des choix de compétences à chaque chapitre, l’aléas des tirages fait que l’on ne peut pas vraiment s’assurer qu’une combinaison sorte quand on en a besoin. Du coup, on optimise avec ce que l’on a à chaque tour et on prépare vaguement le prochain tour, des fois que.
Les Trois Mousquetaires
Plus subjectivement, Crown Gambit m’a happé. Je ne suis pas un fan de ces mécaniques pourtant. Il y a quelque chose dans sa simplicité et son minimalisme qui m’a conquis. La cohérence de l’univers, les enjeux des paladin·es, l’intrigue principale, le tout condensé dans une aventure d’une quinzaine d’heures, c’est une formule qui marche incroyablement bien.
Malgré les bonnes intentions des protagonistes, la conclusion de l’histoire laisse un goût amer. Je classe ça comme un compliment, car il ne s’agit pas vraiment d’une fin, mais plus d’une ouverture. Parce que la vie n’est ni blanche, ni noire. Ce sont plutôt des choix ambigus, effectués par des personnes qui espèrent juste bien faire.
Vendu à moins de 20€, Crown Gambit est une merveille. On sent la liberté d’un jeu vidéo indépendant, tant au niveau esthétique que narratif. Une œuvre comme on aimerait en voir plus souvent chez PressF5, et j’espère revoir Wild Wits Games à la tête d’autres projets vidéoludiques.
LupusVII