American Arcadia

American Arcadia
par CekterDown

Vous connaissez les utopies ? Ces mondes idéaux où tout est merveilleux et où tout le monde est heureux. On se dit que c'est super n'est ce pas ? Et puis, on se souvient de Rapture, ce devait être la ville sous-marine libérée de l'enfer administratif. On pense également à Columbia, la cité flottante idéale où tous les humains ont la même valeur. Pas terrible hein ? Du coup, quand on vous présente American Arcadia, la ville idéale bloquée dans des années 70 fantasmées où tout le monde est beau et gentil, vous sentez qu'il y a un problème ?

Votre instinct ne vous trompe pas. C'est effectivement trop beau pour être vrai. Mais pour ce pauvre Trevor, employé banal vivant une vie ennuyeuse au sein d'Arcadia, et co-protagoniste principal du jeu, c'est sa vie. Et il aurait préféré qu'elle ne soit pas autant chamboulée par Angela, le deuxième protagoniste principal. Car maintenant sa vie, c'est principalement courir dans les couloirs alors que des gens le pourchassent. Oh, et tout ce qu'il prenait pour acquis s'effondre également. Bref, il y a des journées comme ça...

American Arcadia est développé par Out of the Blue Games, un studio madrilène, et édité par Raw Fury qu'on ne présente plus. Fondé en 2019, Out of the Blue s'est tout de suite démarqué des autres studios avec Call of the Sea, un jeu d'aventure Cthulhien à la narration brillante et à l'ambiance incroyablement prenante. Ils ont aussi prouvé qu'ils savaient tordre un concept pour l'adapter à leur idée et en faire quelque chose d'inattendu.

Je ne vais pas entretenir le suspens plus longtemps, American Arcadia est lui aussi un jeu brillant. Si cette fois le studio a choisi une toute autre histoire, puisqu'on quitte l'île mystérieuse de l'entre-deux guerres où l'exploration était solitaire, pour une cité dystopique beaucoup trop peuplée ; il a également choisi un tout autre gameplay. Ou plutôt d'autres gameplays, tant la proposition initiale se fait bousculer et malmener tout au long des huit heures que dure American Arcadia (personnellement, j'ai mis un peu plus de dix heures à le finir, mais je ne suis pas spécialement rapide, et je prenais des notes).

Au départ, vous dirigez Trevor sur un plan horizontal avec très peu de verticalité. Au mieux, vous aurez un escalator à prendre, ou une volée de marches. Puis vous devrez bouger des objets pour pouvoir passer. Vous devrez grimper, courir, sauter au bon moment ! Heureusement, vous serez guidé par une voix, et cette voix a le pouvoir de prendre le contrôle des caméras et, par leur truchement, ouvrir des portes, allumer des lumières ou faire s'arrêter des ascenseurs.

Un gameplay asymétrique donc, où chaque personnage fait quelque chose de différent. Sauf que... Sauf que vous êtes tout seul. C'est un jeu prévu pour un seul joueur. Il va falloir donc jongler entre Trévor en train de fuir, pendant qu'Angela lui ouvre, littéralement, les portes de sa prison dorée. Au passage, il faudra résoudre quelques puzzles, soit avec un des deux personnages, soit avec les deux ensemble.

Mais, on s'en doute avec out of the Blue, cette petite routine ne va pas s'arrêter là et, outre les rebondissements au sein même de l'histoire (et il y en aura), vous devrez souvent vous adapter à des nouvelles mécaniques de jeu, heureusement tout à fait abordables et très bien expliquées. Le rythme est excellent, les moments de routine dans le gameplay sont autant de respirations bienvenues et la progression se fait naturellement, au prix de quelques tentatives infructueuses.

Si on retrouve toute la finesse d'écriture du studio, on y retrouve aussi sa patte graphique unique en son genre. Certes, le contexte du jeu est différent, mais la DA est toujours aussi accrocheuse. L'absence d'un quelconque HUD est aussi une bénédiction puisque l'ensemble de l'écran sert à dire quelque chose. Bref, comme pour Call of the Sea, on sent toute la minutie et l'attention aux détails que le studio a eu pour son jeu. Chaque élément compte dans la narration, chaque détail est important pour nous amener à la conclusion de l'aventure.

Si la DA est somptueuse, que dire alors de la musique, très bien choisie quel que soit le moment ? Elle a une place prépondérante et tombe toujours juste. Le sound-design est, lui aussi, tout à fait pertinent, aucun son ne semble déplacé ou mal employé. Là encore, le travail effectué est impressionnant et participe à la réussite du titre. Il y a un dernier point concernant le son sur lequel je voudrais m'attarder : les voix.

Yuri Lowenthal (Spider-Man 1 et 2, Prince of Persia Remake, Call of the Sea) interprète un Trevor criant de vérité. Krizia Bajos (Cyberpunk 2077, League of Legends) dont la voix fait vibrer toute la détermination mais aussi la détresse d'Angela. Et bien sûr, le travail toujours aussi incroyable de Cissy Jones (Firewatch, Life is Strange, Call of the Sea) qui donne une profondeur surprenante au personnage de Vivian (je n'en dis pas plus, mais vous verrez).

Impressionnant dans sa réalisation, le jeu l'est aussi dans son propos. Parfois léger, parfois haletant, parfois sombre et parfois poétique, il sait nous entraîner dans un rollercoaster d'émotions. Très critique, il sait taper là où ça fait mal. Il sait surtout nous interroger sur notre rapport à l'image, jusque dans ses aspects les plus modernes. J'ai fini le jeu, comme pour Call of the Sea, avec une boule dans la gorge, tout autant à cause de ce qui m'était narré que parce que je ne voulais plus quitter Trevor et Angela.

Alors au final est ce que je conseille American Arcadia ? Bien entendu. C'est un jeu intelligent, surprenant, beau et attachant. C'est une aventure unique dont on se souvient avec émotion. C'est une œuvre magnifique d'un studio qui mine de rien, vient d'enchaîner deux très grandes réussites du jeu vidéo.

Et n'oubliez pas, Et In Arcadia Ego.